FERMETURE
DU JAPON

PREAMBULE

La prise du pouvoir par Tokugawa Ieyasu et ses successeurs sera l'occasion d'une fermeture totale du pays. Cette politique est connue sous le nom de Sakoku, terme qui signifie littéralement : "le pays cadenassé". Le premier idéogramme : SA (kusari) significe chaîne ; le second KOKU (kuni) : pays. Cette expression est toujours utilisée en japonais pour définir la politique d'isolement de certains pays socialistes, comme la Chine populaire à l'époque du 'Rideau de bambou'.

CAUSES HISTORIQUES

A partir de sa découverte par le Portugais Fernao Mendes Pinto en 1542 ou 1543, le Japon s'était ouvert au commerce et aux relations avec les Occidentaux : les Portugais, suivis bientôt , des Espagnols, des Hollandais, puis des Britanniques. Un grand nombre de Japonais s'étaient convertis au catholicisme. Une ambassade fut même envoyée à Rome en 1582 par des princes Japonais chrétiens et reçue en grande pompe par le Pape.

En 1587, toutefois, Toyotomi Hideyoshi décréta l'expulsion des missionnaires. Cet édit ne fut guère appliqué, malgré la crucifixion, en 1597, à Nagasaki, de sept franciscains et dix-neuf fidèles japonais. Mais Ieyasu (1542 - 1616), premier shogoun de la famille Tokugawa, reprit à son compte à partir de 1611 une politique de persécutions anti-chrétiennes qui devait aboutir à la rupture de presque toutes les relations religieuses, "' commerciales et culturelles entre le Japon et les pays étrangers. On discute encore aujourd'hui des causes exactes de cette politique, qui fut poursuivie par ses successeurs. Il est cependant possible d'en discerner plusieurs :
* crainte que les missions ne préparent l'invasion du Japon, par les Espagnols par exemple.
* désir de concilier les bonnes grâces du clergé bouddhiste.
* irritation devant les querelles des ordres religieux (Franciscains, Jésuites, etc ...) ou entre les Espagnols et les Portugais, ou encore entre ceux-ci, catholiques, et les Hollandais, protestants.

Plus vraisemblablement, c'est surtout le fait que Ieyasu n'avait assis son pouvoir qu'après une guerre civile très dure menée contre les partisans de Hideyori, fils de son prédécesseur et beau-frère Hideyoshi. Hideyori était soutenu par les clans du sud ouverts sux relations maritimes et où l'influence chrétienne était la plus forte. Les plus fameux généraux de son parti étaient chrétiens (comme Konishi Yarinaga).
Les persécutions anti-chrétiennes apparaissaient donc nécessaires aux Tokugawa pour maintenir le sud dans l'obédience de leur nouveau pouvoir.

MESURES JURIDIQUES - LES EDITS DE FERMETURE

Juridiquement, cette prohibition des relations avec l'étranger s'était incorporée au droit japonais par un certain nombre d'édits, pris par étapes successives, et jamais rapportés depuis.
1 - Expulsion des religieux.
En 1614, fut pris un édit d'expulsion des religieux 22 moines, 117 jésuites, des centaines de catéchistes, furent embarqués de force pour Formose et la Chine. Puis, le shogoun Hidetada ordonna la condamnation à mort de tout prêtre étranger trouvé dans le pays.
2 - Limitation des ports ouverts.
Les relations maritimes avec les étrangers autres que Chinois furent ensuite limitées à cinq endroits, puis aux deux seuls ports de Nagasaki et de Hirado.
3 - Défense fut faite ensuite à tout Japonais, sous peine de mort, de quitter la terre natale, ou d'y retourner, pour ceux qui se trouvaient outremer. Les dérogations consenties aux marchands sous forme de passeports furent supprimées en 1635 et 1636.
4 - Enfin, pour renforcer cette prohibition, fut ordonnée la destruction complète de tous les navires construits à l'européenne ou d'un tonnage supérieur à 2500 tonneaux, seuls navires capables de tenir la haute mer.
5 - Progressivement, tous les étrangers, et plus seulement les seuls ecclésiastiques, furent bannis, à l'exception des Hollandais : les Espagnols (1625) furent suivis par les Portugais et par les Britanniques.

L'édit de 1636 étendit l'expulsion aux métis et à leurs mères ou parents nourriciers japonais. Les persécutions très violentes à l'égard des Japonais chrétiens (la mort par le feu, la crucifixion, etc. étaient de règle) et les exactions d'un grand seigneur local contre les paysans amenèrent en 1637 un soulèvement populaire dans l'île méridionale de Kyushu sous l'autorité de quelques seigneurs dont un jeune daimyô, Amakura Jirô, âgé de seize ans. Privés de secours, les insurgés tinrent tête aux forces très supérieures coalisées contre eux, en se barricadant dans la vieille forteresse de Shimabara (d'où le nom : insurrection de Shimabara) sur les bords du rivage non loin de Nagasaki. Mais les Hollandais, à la requête du shogoun, acceptèrent de bombarder la forteresse, dont les défenseurs survivants et leurs familles (37000 personnes) furent exterminés. Cette insurrection consacra définitivement la fermeture du pays aux influences étrangères, qui fut décrétée par le shogoun Iemitsu en 1639. Le 3 août 1640, les 57 membres d'une ambassade portugaise venue au nom du Sénat de Macao pour solliciter la reprise des relations étaient décapités à Nagasaki, après avoir refusé la grâce qui leur était promise s'ils apostasiaient leur foi.

LA POSITION DES HOLLANDAIS PENDANT 200 ANS

Cependant, les Hollandais, grâce à leur attitude, obtinrent de conserver un comptoir dans l'îlot de Deshima, dans la baie de Nagasaki, où les navires chinois conservaient aussi
l'autorisation de poursuivre un commerce limité. Cet îlot artificiel avait 600 pieds de long et 240 de large. Il était entouré d'un mur et rattaché à la terre par un pont constamment gardé. Une dizaine de Hollandais pouvaient y résider, mais sans leurs femmes ni leurs enfants.

Un ou deux navires pouvaient accoster chaque année. Ils devaient être désarmés en entrant dans la baie. Tous les objets qui, de près ou de loin, pouvaient rappeler le christianisme devaient être enfermés dans un coffre. Malgré ces règles strictes et par l'intermédiaire de ce seul fil ténu, le Japon continua d'être relié pendant plus de deux siècles au monde extérieur, non seulement dans le domaine commercial pour lequel il avait été prévu, mais aussi dans le domaine intellectuel. Périodiquement, le chef de la factorie de Deshima présentait au shogunat une sorte de bulletin d'informations sur l'état du monde. D'autre part, une poignée de Japonais, grâce â l'étude des livres apportés par les Hollandais, parvenait, au prix d'efforts inouïs et parfois non sans risques, à maintenir un certain niveau de connaissances des langues et des sciences de l'Occident, que l'on englobait sous le nom de "science hollandaise".